Parcours de « poilus » : Anselme Pagès (et lettre d’un compagnon)

{ Parenté }  Anselme et le grand oncle de « Dany » Lanier (née Pagès), l’oncle de Louis Pagès et le frère ainé de « Marthe » Pagès.


Nos cousins de Millau « découverts » en 2006 (voir l’article) nous ont fait parvenir un document oublié chez une grande tante ; un courrier poignant d’un soldat, compagnon de ce grand oncle « mort pour la France » : Anselme, Victor Pagès (1892-1914).

Avant-guerre : Anselme, le pharmacien

Anselme est né le 24 mars 1892, de Camile, Martin Pagès et Marie, Rosalie Vernhet, commerçants charcutiers à Millau. Il est le 1er enfant du couple et comptera 4 frères et soeurs : Albin, Edmond, « Marthe » et « Thérèse ».

Avec une prestance évidente et une grandeur d’âme quasi-religieuse, il est l’idole de sa soeur « Thérèse » (témoignage familial).

En 1912, il a alors 20 ans, Anselme fait ses classes sous le matricule 265. Outre les informations sur son physique (1m69, yeux bleu clair, lèvre inférieure épaisse…) et son degré d’instruction (3 : possède une instruction primaire plus développée), la fiche de matricule du soldat Pagès nous indique surtout son orientation de carrière, comme « Employé de pharmacie ». À l’inverse des traditions de l’époque, ce fils aîné ne se destinait vraisemblablement pas à reprendre le flambeau au sein de la charcuterie familiale.

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Extrait de la fiche de matricule – Recrutement de Mende (Lozère) – Cliquez pour agrandir

A l’automne 1913, Anselme incorpore le 61ème Régiment d’Infanterie à Privas (Ardèche) au titre du service militaire, porté à 3 ans. Dans une carte du 1er/11/1913, il rassure ses parents :

« Voilà déjà un mois que je suis à la caserne et je ne regrette pas trop Millau. Les jours ne me semblent pas trop longs (…) nous ne sommes là que des bleus (…) je ne me fais toujours pas de mauvais sang ».

Anselme (debout, 5ème depuis la gauche) en tenue d'exercices, vers 1912 © Collection privée
Anselme (debout, 5ème depuis la gauche) en tenue d’exercices, vers 1912 © Collection privée

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Le 61e R.I. fait partie de la 60ème brigade d’Infanterie, 30ème division d’Infanterie, 15ème Corps d’Armée. En 1914, il est constitué de 3 bataillons.

Emporté par la fièvre en 1914

Au lendemain de la mobilisation générale, Anselme est nommé Caporal au 1er bataillon, 1ère compagnie, et quitte son casernement le 6 août 1914 pour rejoindre le front de Lorraine.

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Près des frontières en août (Moncourt, Dieuze, Guébestroff, Mont-sur-Meurthe), pendant la bataille de la Marne (Ferme de Maison Blanche, Andernay…) ou dans le secteur de Verdun en septembre (Avocourt, Bois de Cheppy…), il traverse les premières batailles, si rudes, et l’enfer des tranchées…

« (…) Ce 9 septembre est marqué par des combats dans les sous-bois meusiens au-dessus de Sermaize, par des unités de la 30e DI. Le I/61e RI (lieutenant-colonel Capxir) reçoit l’ordre de se joindre au II/55e RI pour coopérer à l’attaque du bois de Faux-Miroir (…), par la forêt d’Andernay. (…) De leur côté, les II et III/61e, avec les mitrailleuses, et deux compagnies et une section de mitrailleuses du 40e RI, doivent, sous les ordres de Capxir, enlever Maison-Blanche, en forêt d’Andernay, tandis que le III/61e est chargé de défendre La Colotte. Maison-Blanche est organisée en blockhaus : vers 17 h 30, la ferme est enlevée à la baïonnette par le 61e, qui bivouaque dans la forêt sous la pluie. Les Allemands se sont repliés sur des tranchées. Dans cette journée, le III/61e a perdu 24 tués (…), 89 blessés et 17 disparus, le II/61e 108 tués et blessés (…). Un drapeau allemand aurait été pris ce jour-là. » – Extrait de Mémoires de Haute-Marne – n°2

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Assaut des troupes françaises dans le village de Mont-sur-Meurthe, en 1914

Mais Anselme, comme nombre de ses camarades partis la fleur au fusil, est happé par la maladie en ce début de guerre et ne reviendra pas chez lui.

« (…) bivouac et interdiction d’allumer des feux (…) ordre de départ avant que rien ne soit cuit et les vives restent sur place. On remédiait à cette accident en ramassant des fruits, pommes et prunes… (…) Toute l’armée souffrait de la dysentrie, et si en octobre et novembre 1914, l’armée française se trouva dans une situation si terrible, elle le dut autant aux mauvaises conditions d’hygiène qu’à l’ennemi trop bien secondé, hélas! par la dysentrie et la thyphoïde. » – Extrait de Cahiers du 19° RI, période de retraite avant la bataille de la Marne.

Le 13 octobre 1914,  le jeune Millavois succombe à une fièvre typhoïde et à la dysenterie, à l’hôpital auxiliaire de Gondrecourt (Meuse). Anselme Pagès ajoute son nom à la longue liste des « Morts pour la France ». Il avait 21 ans.

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Acte de décès d’Anselme Pagès – source : Ministère de la défense · Mémoire des hommes

La lettre de H.PONS (transcription)

Lettre à la mère d’un soldat mort en 1914 (Madame Pagès)
Le 11 janvier 1915,

Chère Madame,

Quoique ma tâche soit rude il faut, puisque vous me l’ordonnez, que je vous donne les renseignements que vous me demandez. Je ne puis pourtant vous dire tout ce que je voudrais, car vous devez savoir qu’il y a une censure, nos lettres sont souvent décachetées, aussi comme il me faudrait porter des accusations sur certaines gens, je me réserve de vous parler plus franchement si j’ai le bonheur de revenir de cette affreuse guerre.

Depuis le début de la campagne, Anselme et moi nous ne nous quittions pas. Quand il nous fallut nous replier d’Alsace, par cette forte chaleur d’été, mon ami était toujours en train de remonter le moral à quelques hommes découragés.

Les plaines d’Alsace sont couvertes de pruniers et je vous prie de croire que, si nous ne mangions pas du pain, en revanche les prunes avaient bon jus. Tous nous eûmes la dysenterie et certains la conservaient bien longtemps. Parmi ceux là se trouvait Anselme.

Nous nous dirigions sur l’Argonne. Là plus de fruits, plus rien, et nous marchions toujours… Le 20 septembre mon ami était indisposé mais ne se plaignait pas. Il attribuait cela à la mauvaise nourriture. Il ne faisait que manger des fruits, il lui semblait que cela le dégageait. C’est ici que je suis obligé de passer sous silence bien de tristes choses. Je ne puis vous citer que quelques dates où, tout en n’étant pas malade, Pagès dépérissait à vu d’œil. Le 25 et le 30 il allait plus mal et c’est à ce moment qu’il me dit : « S’il me faut coucher une nuit dehors, je suis foutu ». Et cela n’a pas manqué. Dans la nuit du 3 au 4 octobre nous couchâmes sur la terre humide.

Le lendemain – Madame, dois-je vous le dire ? – deux hommes soutenaient un troisième. Il me fallut le regarder à deux fois pour reconnaître Anselme. Une nuit à la belle étoile avait rendu votre fils méconnaissable : plein de boue de la tête aux pieds, amaigri, plein de fièvre ; c’était affreux ! Je lui serrai la main car je compris qu’il ne reviendrait plus. Il me dit : « Adieu, c’est fini ». Et ce fut bien vrai. Peu de temps après j’apprenais sa mort.

Vous allez dire  » pourquoi ne se faisait-il pas porter malade ?  » C’est vrai, il ne voulu jamais se faire soigner et du jour où il se mit entre les mauvaises mains du Major, c’était fini, comme disait ce pauvre cher ami.

Je vous promets, que Dieu me prête vie, de vous raconter de vive voix les derniers jours qu’Anselme passa auprès de moi et vous verrez qu’il n’ait pas tous les torts de ne pas se faire reconnaître malade.

Vous devez, Madame, être fière d’avoir donné le jour à un vaillant pareil. Il fut le plus brave soldat de l’armée, toujours prêt à marcher pour les autres, secourant les faibles.
Pardonnez moi, Madame, d’avoir renouvelé chez vous une douleur qui n’est pas encore éteinte ; mais vous me l’avez ordonné et je vous obéis.

Que la présente vous trouve tous en très bonne santé et recevez Madame, un affectueux bonjour.

PONS H. 61e (81e ?) Régiment d’Infanterie – 1ère compagnie

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Premier feuillet de la lettre originale de H. Pons, écrite en 1915.

A propos de l’auteur

Après des recherches infructueuses pour obtenir le détail des effectifs du 61e R.I. en 1914, (qui nous aurait permis d’identifier clairement le soldat « PONS »), la piste d’un compagnon issu de la même classe qu’Anselme, en 1912, semble être aujourd’hui la meilleure. En effet, on retrouve dans le registre des matricules, quelques lignes sous la mention « PAGES »…  « PONS Hippolyte Prosper » qui intégrera plus tard le 81e R.I.

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Extraits des tables de matricules (Mende 1912) – source : archives.lozere.fr

Même si ma probabilité est forte, l’incertitude sur l’identité de l’auteur plane encore, les soldats ayant incorporé 2 régiments différents pendant la guerre.


Sources / Lectures annexes (liens)

Sources :
– Matricules · Archives Départementales de Lozère (48) -> http://archives.lozere.fr
– Parcours du 61e R.I. -> www.chtimiste.com
– Combats du 9 septembre 1914 -> http://memoires52.blogspot.fr
– « Morts pour la France » -> http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Lectures annexes :
Combats de Dieuze, Mont et Avocourt -> Historique sommaire du 61ème R.I.
Combats de Mont-sur-Meurthe -> http://pages14-18.mesdiscussions.net (forum 14-18)

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